Consultation publique sur la régulation des substances psychotropes En Espagne
La vague de régulation internationale a atteint l’Europe il y a quelques années déjà. Suivant l’exemple de l’Allemagne, de nombreux pays du Vieux Continent ont légalisé le cannabis à des fins médicales.
De son côté, l’Espagne, autrefois considérée comme « le jardin de l’Europe » grâce à ses nombreux cannabis clubs et à l’apparente « permissivité » des autorité, s’est laissée distancer par nombre de ses voisins européens dans ce domaine.
Aujourd’hui, la situation y est particulièrement confuse : d’un côté, aucune loi n’y autorise explicitement l’accès au cannabis médical et, de l’autre, on y délivre toujours plus de licences de production de cannabis médical qui, ironiquement, est destiné à l’exportation.
C’est dans ce contexte que le gouvernement espagnol a lancé une consultation publique autour d’un projet de décret visant à réglementer de nouvelles substances, notamment des cannabinoïdes semi-synthétiques. Car avant son officialisation, ce projet doit être soumis à une consultation publique, destinée à récolter les suggestions d’amélioration émises par les citoyens, les entreprises et les experts.
Le contexte : L’Espagne et la régulation des substances psychotropes
Aujourd’hui, la législation relative à ce type de substances (y compris le cannabis) repose sur la convention sur les substances psychotropes de 1971 des Nations Unies. Mais, beaucoup de choses ont changé depuis sa promulgation. Le développement de nouveaux composés et la légalisation du cannabis dans de nombreux pays ont ainsi rendu nécessaire une mise à jour de la réglementation espagnole afin qu’elle s’aligne sur les normes internationales.
La Convention sur les substances psychotropes de 1971 a classé les substances contrôlées dans différentes listes en fonction de leur niveau de régulation et de contrôle. Une classification toujours en vigueur aujourd’hui :
- Liste I : inclut les substances considérées comme présentant un potentiel élevé d’abus et de dépendance, mais avec peu ou aucun bénéfice thérapeutique connu. L’utilisation de ces substances est strictement interdite, sauf à des fins de recherche scientifique et sous autorisation.
- Liste II : inclut les substances considérées comme présentant un potentiel élevé d’addiction, mais avec certains usages thérapeutiques reconnus. Les substances classées dans cette liste doivent être soumises à un contrôle rigoureux quant à leur production, distribution et prescription.
- Liste III : inclut les substances considérées comme présentant un potentiel d’abus modéré et un usage thérapeutique plus large. Les mesures de contrôle sont moins strictes que celles imposées aux éléments des listes I et II, mais demeurent considérables.
- Liste IV : inclut des substances qui, bien qu’appartenant à la liste I, présentent des avantages thérapeutiques reconnus. Elles sont soumises au même type de contrôles que les éléments de la liste I, mais leur accès à des fins thérapeutiques est plus flexible.

En quoi consiste le projet de décret sur les substances psychotropes en Espagne ?
En substance, ce projet de décret ajoute de nouvelles substances à la liste des psychotropes contrôlés. La période de consultation publique est ouverte jusqu’au 13 février 2025. Elle permet à tous de communiquer au gouvernement ses commentaires et suggestions à ce sujet.
Les personnes ou entités souhaitant prendre part à cette consultation sont priées d’envoyer leurs contributions à : informacion_publica@sanidad.gob.es avec pour objet : DG/03/25 APORTATIONS + NOM DE L’ENTITÉ OU DE LA PERSONNE.
Les cannabinoïdes semi-synthétiques et leur inclusion dans la liste II
Parmi les substances que ce projet de décret propose d’ajouter à la liste des psychotropes contrôlés se trouvent certains cannabinoïdes semi-synthétiques :
- Des substances telles que l’hexahydrocannabinol (HHC), l’hexahydrocannabiphorol (HHCP) et leurs dérivés (comme l’acétate de HHC et l’acétate de HHCP) seront incluss dans la liste II du Décret Royal 2829/1977.
- La dipentylone, un stimulant semi-synthétique de la famille des cathinones, sera incluse dans la liste II en raison de son potentiel d’abus et d’addiction, ainsi que des effets secondaires possibles particulièrement graves tels que des intoxications mortelles.
- La 2-fluorodeschlorokétamine, chimiquement liée à la kétamine, sera également incluse dans la liste II du fait de son potentiel addictif, de la gravité de ses effets secondaires et de possibles intoxications.
- Le bromazolam, une benzodiazépine de haute puissance, sera incorporé dans la liste IV en raison de son risque d’abus, d’addiction et de mortalité.
- THCA (Acide Tétra-hydrocannabinolique), la forme acide du THC, c’est-à-dire, son précurseur, sera inclus dans la liste II. Bien qu’il ne soit pas psychoactif sous cette forme acide (il ne produit aucun effet), le processus de décarboxylation (qui consiste en l’application de températures supérieures à 105º) le mue en THC. C’est cette possibilité qui, selon le Ministère de la Santé et l’Agence Espagnole du Médicament, justifie l’inclusion du THCA dans la liste des substances contrôlées. C’est la récente commercialisation de produits riches en THCA facilement convertible en THC qui a motivé son inclusion dans cette liste.
De plus, le projet de décret stipule que le THCA ne présente aucun bénéfice thérapeutiques connus, alors même que certaines études soulignent ses propriétés thérapeutiques, notamment dans le traitement des maladies neurodégénératives et métaboliques.(1), (2).
Le Tramadol est exclu du projet de Décret Royal
Une des demandes émanant de la consultation publique (laquelle est prolongée jusqu’au 13 février prochain) consistait à inclure le Tramadol dans la liste des substances soumises à un contrôle strict. Mais, cette proposition a d’ores et déjà été rejetée par le ministère de la Santé, lequel a déclaré que cette inclusion « ne correspond[ait] pas aux objectifs du projet de réglementation ».
Le tramadol est un analgésique opioïde utilisé pour le traitement de la douleur dans de nombreux pays. Mais son statut juridique varie considérablement à travers le monde en raison de ses possibles effets secondaires et de son potentiel addictif, notamment en cas d’utilisation prolongée.
Quel impact auront ces nouvelles mesures ?
Si le projet de décret est adopté, il pourrait affecter les entreprises du secteur du cannabis qui produisent, distribuent et commercialisent des cannabinoïdes semi-synthétiques comme le HHC.
Ce type de composés, lancés sur le marché il y a quelques années comme substituts « légaux » du cannabis, pourraient ainsi passer sous le statut de substances contrôlées et réglementées, tout comme les cannabinoïdes issus de la plante (THC, etc.).
La prolifération croissante de ce types de produits qui, jusqu’à présent, profitaient d’un certain flou juridique pourrait s’en trouver freinée.
La prohibition est-elle efficace ?
Le projet de décret vise à aligner l’Espagne sur les accords des Nations unies et de l’OMS concernant les stupéfiants. Toutefois, l’Espagne ne suit pas le modèle de régulation du cannabis auquel de plus en plus de pays adhèrent.
Il est surprenant que des cannabinoïdes semi-synthétiques comme le HHC (dont la sécurité et les effets secondaires à long terme sont méconnus) aient pu être commercialisés dans le pays ces dernières années, alors même que les phytocannabinoïdes comme le THC ou le CBD (dont des décennies de recherches scientifiques soulignent la sûreté) aient vu leur commercialisation restreinte.
Le modèle prohibitionniste ne résout clairement pas le problème que soulignent les patients, les organismes publics de santé et les activistes, à savoir, la nécessité de garantir aux consommateurs un accès sûr et réglementé aux produits qu’ils consomment afin de réduire les risques pour la santé.
Aucune loi n’est infaillible
L’approche espagnole concernant le cannabis et ses dérivés est en place depuis des décennies. Et peut-être est-il temps d’en évaluer l’efficacité.
En effet, chaque fois qu’un nouveau composé se voit réglementé, d’autres, semi-synthétiques cette-fois, sont créés, échappant à toute réglementation et dont les effets à long terme sont inconnus. En tentant de protéger le consommateur, le système espagnol fait l’inverse puisqu’il les incite à se tourner vers des produits non réglementés, non contrôlés et dont les risques pour la santé sont méconnus.
Une alternative à ce modèle serait la régulation du cannabis au sein d’un cadre légal garantissant la sécurité des produits et l’éducation des consommateurs. C’est déjà le cas dans certains pays européens, pour son usage médical, au moins :
- Allemagne
- Grèce
- Luxembourg
- Malte
- Portugal
- Royaume-Uni
- Irlande
- Danemark
- Italie
- République tchèque
- Pologne
- Norvège
- Finlande
- Croatie
- Chypre
- Roumanie
- Macédoine du Nord
- Lituanie
- France
Pourquoi l’Espagne semble-t-elle se démarquer des autres pays et perpétue un modèle obsolète et inefficace ? Un modèle global de régulation du cannabis permettrait un accès régulé et sûr aux patients et aux consommateurs récréatifs, tout en stimulant les recherches scientifiques sur les effets et propriétés thérapeutiques des cannabinoïdes dans le traitement de certaines maladies.
De cette manière, il ne serait pas nécessaire de réactualiser en permanence une liste déjà interminable de cannabinoïdes semi-synthétiques dont le profil de sécurité est inconnu et qui sont développés dans le seul but de contourner la loi.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’essor de tous ces nouveaux cannabinoïdes semi-synthétiques soit la conséquence directe de ce modèle d’interdiction du cannabis, modèle qui, in fine encourage la création de nouvelles substances.

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Cali Terpenes
1-Kim J, Choi P, Park YT, Kim T, Ham J, Kim JC. The Cannabinoids, CBDA and THCA, Rescue Memory Deficits and Reduce Amyloid-Beta and Tau Pathology in an Alzheimer’s Disease-like Mouse Model. Int J Mol Sci. 2023 Apr 6;24(7):6827. doi: 10.3390/ijms24076827. PMID: 37047798; PMCID: PMC10095267.
2-Belén Palomares, Francisco Ruiz-Pino, Martin Garrido-Rodriguez, M. Eugenia Prados, Miguel A. Sánchez-Garrido, Inmaculada Velasco, María J. Vazquez, Xavier Nadal, Carlos Ferreiro-Vera, Rosario Morrugares, Giovanni Appendino, Marco A Calzado, Manuel Tena-Sempere, Eduardo Muñoz,
Tetrahydrocannabinolic acid A (THCA-A) reduces adiposity and prevents metabolic disease caused by diet-induced obesity,
Biochemical Pharmacology,
Volume 171,
2020,
113693,
ISSN 0006-2952,
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